La première course sur circuit fermé
Par Nick Jonckheere, avec l'aimable autorisation du magasine « The Automobile »
A l’instigation du Baron Pierre de Crawhez, le Circuit des Ardennes fut la première course automobile sur route en circuit fermé. Les courses de ville à ville avaient démontré leur dangerosité en raison des innombrables carrefours et public incontrôlables, neutralisation dans les villes, etc. La course en circuit avait aussi l’avantage de permettre au public de voir passer les concurrents plusieurs fois... Nick Jonkheere a étudié cette histoire qui a mis la Belgique sur la carte mondiale des circuits de course. Le Circuit des Ardennes fut, dès 1902, un grand succès. Organisé jusqu’en 1907, il attira les plus grands pilotes et constructeurs européens.
Le Baron de Crawhez était un pionnier automobile très connu et vainqueur de la première course en Belgique, Bruxelles-Spa avec sa Panhard & Levassor appelée « Dévastation ». Président du Comité sportif du Royal Automobile Club de Belgique, Pierre de Crawhez choisit la région des Ardennes pour sa nouvelle course en raison de la beauté des paysages, des côtes qui demandaient des pilotes compétents et des voitures performantes. Et la faible densité de population…
Le 1er juillet 1902, dès 5 heures du matin, Pierre de Crawhez partit le premier pour parcourir les quelques 500 km du parcours. Le pilote anglais Jarrott nota : « Les autres voitures partirent en mélangeant les catégories pourtant prévues, c’est à dire voitures de tourisme à 4 places, voiturettes et voitures de course. »
Le grand favori était l’organisateur de Crawhez lui-même, qui connaissait évidemment le parcours par coeur.
Un journaliste nota : « il file comme un ouragan, dans une clameur publique indescriptible... » Après quelques tours, il avait déjà gagné la coupe Raczinsky (100 km à 121 km de moyenne).
Puis survinrent des accidents : Jenatzy (le Diable Rouge…) qui cassa ses roues, de Caters qui alla au fossé pour éviter des spectateurs imprudents et Théry qui heurta une vache…
Au troisième tour, de Crawhez heurta la voiture Germain du Baron Coppée qui roulait en catégorie « touriste » et donc moins rapide. Un « crash » spectaculaire et voiture détruite mais Crawhez et son mécanicien furent saufs. La course fut finalement gagnée par l’anglais Charles Jarrott sur Panhard.
En 1903, après la dramatique course Paris-Madrid interrompue en raison de nombreuses victimes parmi les pilotes et le public, Crawhez veilla particulièrement à la sécurité avec des marshals. Et dans les villages, les curés sermonnèrent leurs paroissiens pour les inciter à la prudence et à bien garder leurs vaches !
La course débuta à 15h15. Crawhez (et sa voiture Panhard Levassor) étaient en grande forme. Après avoir à nouveau gagné la Coupe Raczinsky, Crawhez continua la course en tête et finit premier devant Girardot (CVG) et De Brou (De Dietrich).
La nouveauté en 1904 fut le « goudrogénitage », moyen coûteux mais efficace pour stabiliser la route et éviter la poussière.
Les inscriptions étaient très internationales avec Fletcher et Terry sur Mercedes, Bianchi et Girling sur Wolseley, Mayhew sur Napier et Lancia sur Fiat. Il n’y avait que deux pilotes belges : Hauvast et Jenatzy, tous deux sur Pipe.
Pour la course principale (car il faut rappeler qu’il y avait celles des voitures légères, les motos, etc), les vainqueurs furent Heath, suivi de Clément et Rigolly. Les deux belges durent abandonner pour ennuis mécaniques.
La liste des entrées en 1905 était prometteuse : Mercedes, Fiat, CGV, Napier, Wolseley, Hotchkiss, Daracq, Panhard Lesvassor, De Dietrich, … Mais il y eut beaucoup de défections qui limitèrent les grosses voitures à 13. Mais parmi celles-ci, Hemery et Wagner sur Darracq, Gabriel, Duray, Rougier, Jenatzy et de Caters sur Mercedes, Fabry sur Itala, Teste, Heath, Tart et Le Blon sur Panhard.
Hemery fut vainqueur, bénéficiant notamment d’un excellent ratio de 80 HP/ 750 kg.
En 1906, la Coupe Gordon Bennett ayant été arrêtée de commun accord avec les pays concernés, la France saisit l’occasion pour créer en juin au Mans le Prix de l’Automobile de France. Ceci avait évidemment mobilisé beaucoup d’efforts chez les constructeurs.
Résultat : le Circuit des Ardennes ne réunit que l’Allemagne et la France, sans la participation de Panhard ni Renault. Duray sur De Dietrich gagna la course qui fut un triomphe pour la marque car Rougier (3ème), Gabriel (5ème) et Sorel (7ème) couraient aussi sur De Dietrich !
En 1907, la course vit une bataille entre marques belges : Minerva et Pipe. Hauvast et Jenatzy (tous deux sur Pipe) durent abandonner et ce fut le triomphe de Minerva : les trois premières places avec Moore-Brabazon, Lee Guinness et Koolhoven.
Pour 1908, de Crawhez avait pensé à une nouvelle formule (passer par 5 pays pour terminer par l’habituel Circuit dans les Ardennes).
Mais il y eut une pression pour déplacer le Circuit à Spa, en même temps qu’un « clash » avec la date choisie pour la Targa Florio, nouvelle course en Sicile.
Chaque pays voulait désormais sa course et tous reprenaient la formule du Circuit des Ardennes : route en circuit fermé ...
En Belgique, Spa-Francorchamps est la prestigieuse héritière de l’innovation mondiale apportée par Pierre de Crawhez avec ce Circuit des Ardennes que nous célébrons avec enthousiasme.